Coup de théâtre hier pour les négociateurs de l’accord national interprofessionnel sur le télétravail. Le texte définitif, transmis mardi soir, aux partenaires sociaux, n’était pas définitif… Le Medef a fait marche arrière en proposant une ultime réunion jeudi matin pour convaincre les derniers réfractaires. Avec à la clef, un projet d’ANI amendé. Plusieurs ajouts ont été effectués, en particulier sur les moyens accordés aux représentants du personnel, le rappel des règles de santé et sécurité et la prise en charge des frais professionnels en cas de télétravail lié à des circonstances exceptionnelles. Le texte est ouvert à la signature jusqu’au 23 décembre.
Trois syndicats ont décidé de parapher le document, la CFDT, la CFTC et FO. Pour la confédération de Belleville, « il s’agissait notamment d’impliquer les représentants du personnel et le CSE de chaque entreprise dans la définition de l’éligibilité des postes en tenant compte des activités pouvant être pratiquées en télétravail pour éviter toute décision arbitraire des employeurs ». La CFTC lui a emboîté le pas. Reconnaissant que « la négociation a été parfois compliquée », le syndicat chrétien constate, à la lecture de la dernière version, que l’ANI renforce le dialogue social et la préservation de la santé, de la sécurité au travail des salariés et qu’il intègre la prise en compte des frais professionnels. La CFE-CGC rendra sa réponse le 14 décembre. La CGT s’est prononcée contre, regrettant son caractère non contraignant.
Ces discussions, engagées le 3 novembre, s’achèvent positivement, a confié Hubert Mongon, le chef de file du Medef, à l’issue de la rencontre. Nous sommes très heureux de clore cette négociation que nous avions voulue rapide et efficace pour répondre aux attentes des entreprises, dans un contexte sensible qui renvoie aux évolutions du fonctionnement de la société et du pays.
Sans tarder, la ministre du travail, Elisabeth Borne, s’est, elle aussi, réjouie de ce compromis. Ce texte permettra d’encourager la dynamique de négociations de branches et d’entreprises en matière de télétravail, en donnant un cadre clair sur les modalités de sa mise en œuvre et sur la manière de négocier sur ce sujet en entreprise et dans les branches professionnelles. En outre, elle a estimé « qu’il prend également en compte de nouvelles problématiques : l’adaptation des pratiques managériales au télétravail, la formation des managers, la nécessité du maintien du lien social et la prévention de l’isolement, la possibilité de mobiliser le télétravail pour accompagner le travailleur dans son rôle d’aidant familial.
Le détail des dispositions.
L’ANI ne déroge pas à la règle fixée par le patronat depuis l’ouverture des négociations engagées depuis le 3 novembre, à savoir l’absence de nouvelles contraintes pour les employeurs. Le texte réaffirme que le télétravail est encadré par l’ANI du 19 juillet 2005 et par l’ordonnance du 22 septembre 2017. C’est au niveau de l’entreprise que les modalités précises de mise en œuvre du télétravail sont définies, dans le cadre fixé par le code du travail, les dispositions de l’ANI de 2005 et du présent accord, et par les dispositions éventuelles négociées au niveau de la branche.
Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication, indique le texte. En pratique, il inclut les trois types de travail à distance (ordinaire, occasionnel et exceptionnel, c’est-à-dire exercé également dans le cadre d’une pandémie) et peut s’exercer au lieu d’habitation du salarié ou dans un tiers-lieu, comme par exemple un espace de co-working, différent des locaux de l’entreprise.
L’accord rappelle que le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. Les syndicats voulaient que l’ANI définisse la négociation (en vue d’un accord collectif) en première intention car ils craignaient la poursuite du développement du télétravail « gris », à travers les accords de gré à gré.
Sont alors précisées dans l’accord ou la charte les conditions de passage en télétravail et de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ; les modalités d’acceptation par le salarié des conditions ; les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ; la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié ainsi que les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail.
En l’absence d’accord collectif ou de charte, ce mode de travail est « possible par accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur ».
En cas de circonstances exceptionnelles (pandémie, catastrophes naturelles, destructions des locaux d’une entreprise), la mise en place du télétravail relève « de la responsabilité de l’employeur et de son pouvoir de direction. Toutefois, l’ANI ajoute que « les partenaires sociaux soulignent l’importance de prévoir dans l’accord ou, à défaut la charte, relatifs au télétravail (…) les conditions et modalités de mobilisation du télétravail, si de telles situations surviennent. L’objectif étant d’anticiper l’organisation du recours au télétravail, notamment en analysant préalablement les activités éligibles, afin « de garantir la continuité de l’activité de l’entreprise. Le Medef fait ici un pas en direction des syndicats, en précisant que la définition des critères d’éligibilité peut utilement alimenter le dialogue social. Dans ce contexte, le CSE est consulté sur les décisions de l’employeur relatives à l’organisation du travail ayant un impact sur la marche générale de l’entreprise, dont les conditions de mise en œuvre et le périmètre du télétravail.
En l’absence d’accord collectif, il est rappelé que le CSE, s’il existe, doit être consulté sur les mesures d’organisation relatives à la continuité d’activité, conformément aux dispositions du code du travail relatives à la représentation du personnel. Cette option n’est plus facultative, comme dans la précédente version.
Si le texte tient compte des demandes des organisations syndicales sur la nécessité de mettre en place un double volontariat (du salarié et de l’employeur), il ne retient pas leurs propositions concernant la formalisation par écrit de l’accord en cas de gré à gré. Les syndicats voulaient que ce refus soit notifié noir sur blanc. L’ANI réitère ainsi qu’en « l’absence de dispositions particulières prévues par un accord collectif d’entreprise ou une charte,l’employeur et le salarié formalisent leur accord par tout moyen. Seule précision apportée : les organisations signataires du présent accord soulignent l’utilité de recourir à un écrit, quel qu’il soit, afin, notamment, d’établir la preuve de cet accord.
Rappelant que les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur, quelle que soit la situation de travail, l’accord indique que cette prise en charge peut être un sujet d’un dialogue social en entreprise, sans obligation. Par ailleurs, il souligne, dans sa dernière version, que cette prise en charge des frais professionnels s’applique également aux situations de télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou en cas de force majeure. Le texte fait également mention de l’indemnité forfaitaire de télétravail que les employeurs peuvent décider de verser pour rembourser une partie des frais engagés par leurs salariés. Cette allocation est exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite des seuils prévus par la loi.
Le document réaffirme que la présomption d’imputabilité à l’employeur s’applique aujourd’hui en cas d’accident au domicile. Mais s’il rappelle que les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité au travail sont applicables aux salariés en télétravail, il fixe quelques limites à cette obligation ; l’employeur ne pouvant avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée. En outre, la dernière version insiste sur le fait que l’employeur doit porter une attention particulière à l’application des règles légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité des salariés en télétravail, en raison d’éventuelles difficultés qui peuvent survenir en pratiquant ce mode de travail dans des circonstances exceptionnelles.
Bouleversant les pratiques managériales, le télétravail confère de nouvelles responsabilités partagées entre l’employeur et le salarié cadre, dans une recherche de performance collective et d’excellence opérationnelle, en veillant à respecter l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour y parvenir, la relation de confiance entre un responsable et chaque salarié est nécessaire. C’est de cette relation que découlent, en effet, des règles d’organisation claires et la fixation d’un cadre au sein duquel les collaborateurs peuvent évoluer de la manière la plus autonome possible. Le manager est également un des garants du maintien du lien social entre le salarié en télétravail et l’entreprise. D’où l’importance de la formation. Le texte recommande, par exemple, le suivi de stages portant sur le management à distance et la prise en compte de situations hybrides (articulation entre télétravail et travail sur site) ; le respect du cadre légal relatif à la durée du travail et à la déconnexion, le séquençage » de la journée de travail… Il invite également les employeurs à mobiliser les certificats CléA Manager », dont la création a été actée par l’ANI du 28 février 2020 sur l’encadrement mais aussi CléA numérique pour mieux maîtriser les outils numériques et être sensibilisé à la sécurité des données de l’entreprise ainsi qu’à la cybersécurité.
Enfin, un volet de l’accord fait un focus spécifique sur plusieurs situations particulières : il s’agit des nouveaux salariés, des alternants, des personnes en situation de handicap, des aidants familiaux ainsi que des salariés en situation de fragilité. Dans ce dernier cas, l’accord relève qu’il « est utile de mettre à disposition de tous les salariés, y compris ceux en télétravail, les contacts pertinents (numéros verts, contacts d’urgence) afin que les salariés en situation de fragilité (notamment ceux exposés à des risques de violences intra-familiales, d’addictions, etc) puissent y recourir.